Livret d’aide à la visite des collections permanentes en gros caractères

Comprendre comment les activités humaines et l’évolution du territoire ont influencé la forme actuelle de la ville.

Jusqu’au 19e siècle, Suresnes est un village aux vignes abondantes, dominé par le Mont-Valérien. L’habitat est regroupé le long de la Seine à proximité de l’église paroissiale Saint-Leufroy.
Dès 1837, les moyens de transport se développent avec le chemin de fer, le pont reliant Suresnes à Paris et l’amélioration de la circulation fluviale par la construction d’un premier barrage-écluses entre 1864 et 1869.
Avec la révolution industrielle, les usines se construisent sur les quais de Seine amenant des industries modernes. La population augmente, de nouveaux logements sont construits et la ville supplante les terres agricoles.
Entre 1920 et 1940, la ville se transforme sous l’impulsion d’Henri Sellier. Elle est dotée d’un plan d’aménagement urbain et social : des
équipements publics sont créés, les plateaux nord et ouest sont aménagés et la cité-jardins voit le jour.
A partir des années 1960, est entreprise la rénovation du centre-ville qui s’achève dans les années 1980 ; les friches industrielles sont remplacées par des logements, bureaux et commerces, la cité-jardins est réhabilitée.
Depuis la ville ne cesse d‘évoluer pour s’adapter aux nouveaux besoins de la population.

Jusqu’au milieu du 19e siècle, Suresnes (Surêne, Surenne…) est un village essentiellement agricole situé entre le Mont-Valérien et la Seine.
Village dépendant de la seigneurie de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés jusqu’à la Révolution Française, l’habitat est alors situé dans la partie basse du territoire autour de l’église Saint-Leufroy (détruite en 1906), alors que la partie haute est occupée par les vignes et les champs. La circulation se fait par des chemins, rues, ruelles qui peuvent se trouver noyés par les eaux de la Seine lors des crues hivernales et des orages estivaux. La population est alors essentiellement composée de familles de vignerons, d’artisans, de commerçants, de manoeuvres et de bourgeois. Dès le 17e siècle, quelques Parisiens y viennent en villégiature dans leurs maisons de campagne à proximité de
la capitale et empruntent le bac pour traverser la Seine.

Le Mont-Valérien, colline haute de 161 mètres, constitue un élément essentiel du paysage et de l’histoire de Suresnes. Propriété de Nanterre, il est rattaché à Suresnes en 1850.
Dès le 15e siècle, le Mont-Valérien accueille des laïcs désireux de mener une vie solitaire faite de prières et de méditations. Par la suite, trois grandes croix sont édifiées au sommet en référence à la crucifixion du Christ et le Mont-Valérien est alors appelé « Calvaire ».
Des ermites tels que Guillemette Faussart s’y installent alors au cours du 16e siècle.
Ensuite, une communauté de religieux se constitue autour de Jean de Houssay. Vivant du travail de la terre et de la production de leur atelier de tissage, elle accueille des hôtes parfois célèbres comme Thomas Jefferson, premier ambassadeur des tous jeunes Etats d’Amérique en France de 1785 à 1789.
En 1634 est créé le pèlerinage du Mont-Valérien à l’initiative d’Hubert Charpentier. Il fait construire une église dédiée à la Sainte-Croix, au sommet du Mont, et un chemin de croix constitué de petites chapelles. Les pèlerins affluent, surtout pendant la Semaine Sainte. Mais à la Révolution française, les croix sont abattues, les statues des chapelles brisées et les bâtiments démolis.
En 1812, Napoléon Ier fait édifier une caserne au sommet. Puis, entre 1815 et 1830, les pèlerinages connaissent un renouveau et à l’instigation de l’abbé Charles de Forbin-Janson, un nouveau calvaire est érigé. Celui-ci est ensuite détruit vers 1831 laissant la place aux Militaires.

Le Mont-Valérien militaire
Le fort est construit entre 1840 et 1846 afin de défendre Paris. Sa position protège la capitale des troupes prussiennes lors de la guerre de 1870. Pendant la Commune, le fort reste fidèle au gouvernement de Versailles et est le seul à ne pas tomber aux mains des fédérés.
Une école de télégraphie militaire y est installée à la fin du 19e siècle, transformée en 1900 en bataillon de sapeurs télégraphistes, avant la création, en 1913, du 8ème régiment du génie spécialisé dans la télégraphie, aujourd’hui 8ème régiment de transmissions. Le Mont-Valérien est aussi le terrain d’expérience scientifique : en 1849 le physicien Hippolyte Fizeau y réalise les premiers essais pour mesurer la vitesse de la lumière.

Le Mont-Valérien, lieu de mémoire
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, à l’intérieur des fortifications, une clairière sert de lieu discret pour l’exécution des résistants et otages transportés depuis les prisons et camps de la région parisienne. Plus de 1000 fusillés ont été identifiés, faisant du Mont-Valérien le principal lieu d’exécution en France. Les plus connus sont le groupe Manouchian et Honoré d’Estienne d’Orves. Surnommé « l’aumônier de l’enfer », l’abbé allemand Franz Stock s’efforce d’apporter du réconfort à ceux qu’il accompagne jusqu’au lieu de l’exécution.
Le Mémorial de la France combattante, dédié à l’ensemble des combattants et résistants, est édifié en 1960 selon la volonté du Général de Gaulle. Chaque année depuis, la commémoration de l’appel du 18 juin est célébrée en présence du président de la République

La vigne
Le vin de Suresnes était autrefois destiné aux religieux, aux médecins, aux malades et aux laïcs.
Ainsi des bains de vendange sont proposés contre les rhumatismes. On raconte que l’Impératrice Joséphine de Beauharnais se baigne dans une cuve pleine de raisins de Suresnes en fermentation pour conserver la santé.
Mais le vin de Suresnes figure également sur la table des rois de France. Jean Gonthier d’Andernach, médecin de François 1er dit que ce vin fait le délice de la table royale.
La réputation du vin de Suresnes s’est maintenue jusqu’au 18e siècle. A cette époque, après l’hiver de 1709 qui voit la température descendre à – 23° détruisant la plupart des cépages, le vin de Suresnes est supplanté par ceux de Champagne et de Bourgogne, ce dernier ayant aidé la guérison du roi Louis XIV. L’amélioration des moyens de communication au
19e siècle accélère le déclin du vin de Suresnes, confronté à la concurrence des vins de Bourgogne et de Bordeaux.
En 1913, le total de la récolte n’est plus que de 33 hectolitres contre 6 220 hectolitres de vin en 1860. Quelques vieux arpents de terre subsistent encore dans les années 1920 ; les familles Denise, Langot, Maillet et Roy cultivent ces vignes sur les territoires des Couvaloux, des Bons Raisins et du Pas Saint Maurice.
A partir de 1926, le maire de Suresnes, Henri Sellier, aménage une ancienne carrière au lieu-dit « le Pas Saint Maurice », la plante pour perpétuer la tradition et la confie à Monsieur Joyeux. Depuis 1957 une Fête des vendanges, transformée en Festival des vendanges en 1984, célèbre l’activité viticole de la commune.

Le vin de Suresnes est proposé chez les marchands de vin, traiteurs et guinguettes (lieux où l’on débite un vin « guinguet ») qui sont installés à l’entrée du village, d’abord près du bac puis ensuite près du pont reliant Suresnes à Paris.
Suresnes est en effet un lieu de promenade champêtre et les Parisiens viennent nombreux, attirés depuis 1634 par la création du pèlerinage au Mont-Valérien.
La présence des guinguettes est attestée à partir de 1642 quand Hubert Charpentier, le fondateur du calvaire, interdit à tout cabaretier et marchand de vin de s’installer à moins d’un quart de lieu du calvaire. Les plus connues de ces guinguettes existant encore au début du 20e siècle sont « la Belle Gabrielle », « le Moulin Rose », « la Belle Cycliste », « les Grottes ». La matelote d’anguilles ou la friture de Seine y sont appréciées.

A partir du milieu du 19e siècle à la faveur de l’essor industriel de la boucle de la Seine et de l’installation des premières industries, Suresnes se développe et devient un gros bourg.
La création des lignes de chemins de fer (1839 et 1889), la construction du premier pont en 1841, l’amélioration du réseau routier avec le percement du boulevard de Versailles en 1878, et l’aménagement du fleuve par la construction de barrage-écluses entre 1864 et 1869 puis entre 1880 et 1885 favorisent l’essor de l’industrialisation.
A partir de 1860, s’implantent des industries exigeant de grands espaces, souvent polluantes, pour la plupart transférées de Paris. En 1872, on dénombre 19 entreprises sur les quais de Seine.
Suresnes compte sur son territoire toutes les grandes catégories d’industries recensées à l’époque en banlieue parisienne : blanchisserie, textile, alimentaire, métallurgie, chimie, pharmacie, papeterie, imprimerie, carrosserie, mécanique.
Les industriels deviennent des notables de la ville et supplantent les vignerons.
A la veille de la Première Guerre mondiale, les activités dominantes sont l’automobile, l’aviation, la chimie, l’alimentation, l’électronique mais aussi la parfumerie de luxe.

Entre 1830 et 1855, blanchisseries et teintureries s’installent dans la partie basse de la ville, au voisinage de la Seine.
Ces usines consomment une grande quantité d’eau et de charbon.
Les blanchisseries y disposent de vastes terrains pour le séchage du linge à l’extérieur, sur des pieux reliés par des fils de fer, des mâts ou dans des greniers. En 1914, on recense une trentaine d’établissements ; seuls deux d’entre eux subsistent après la guerre.
Les premières teintureries se nomment Rouques, Terrier, Guillaumet, du nom de leur fondateur. Les commandes d’étoffes teintes affluent de toute part. Chaque soir, les voitures à cheval emmènent vers Paris les pièces teintes et ramènent à Suresnes les pièces écrues destinées à la teinture. Une usine de matières colorantes voit le jour vers 1870 afin de produire les matières premières dont les teintureries ont besoin. Cette usine, dirigée successivement par messieurs Gondolo, Sordes et Huillard, est vendue en 1914 à une société métallurgique.
Ces premières industries liées au textile font progressivement place à l’industrie automobile à la fin du 19e siècle.

L’usine Olibet est l’une des premières industries à s’implanter à Suresnes.
Vers 1860, Eugène Olibet importe en France les procédés de fabrication anglais des biscuits secs qu’il est allé étudier sur place. Associé avec le financier Auguste-René Lucas, il lance en 1872 un premier établissement à vapeur à Talence, près de Bordeaux avant d’aménager l’usine de Suresnes en 1879. Située quai Gallieni entre la rue du Port-aux-Vins et la rue du Bac, elle fournit en biscuits la Capitale et la partie septentrionale de la France.
Elle emploie 400 personnes dont 80 % de femmes à la fabrication journalière de biscuits aux noms évocateurs : Lux, Demi-lune, Prime-thé, Petit-beurre…Ces biscuits comme ceux de leurs concurrents Lefèvre-Utile (LU), Biscuiterie Nantaise (BN), sont proposés dans des boîtes métalliques aux formes et aux illustrations caractéristiques. Parallèlement, la fabrication de
boîtes en métal simplement enrobées de papier continue à prospérer.
Après le transfert du siège à Arcueil en 1934, la fermeture du site parisien a lieu en 1938. L’usine est démolie en 1940 et cède la place à l’industrie métallurgique.

La parfumerie a longtemps représenté une importante activité industrielle suresnoise.
Dès la fin du 18e siècle, Jean-Louis Fargeon, parfumeur de la Reine Marie-Antoinette, s’y installe.
En 1905 le parfumeur François Coty, de son vrai nom Spoturno (1874-1934), rachète le Château de la Source, près du pont de Suresnes, pour y construire une usine, la « Cité des parfums », où il fabrique de manière industrielle les parfums créés dès 1904 : « la Rose Jacqueminot », « l’Origan », « l’Ambre antique », « le Vertige » « A Suma ». Dans son sillage, il attire d’autres parfumeurs comme Hugues Guerlain (homonyme du célèbre parfumeur parisien) pour la marque Salomé, Maurice Blanchet (1890-1953) pour Coryse Salomé et Worth, René Duval (1887-1936) pour Volnay et Richard Hudnut.
Des fournisseurs de matières premières saisissent l’opportunité pour s’implanter à Suresnes comme René Sordes (1884-1963)
dont la société est spécialisée dans la fabrication des produits de synthèse, notamment les ionones, aux notes d’iris et de violette.

Installée à Suresnes en 1921, La Radiotechnique est une société spécialisée dans la fabrication de lampes pour les postes de radio.
En 1929, elle reprend la marque Radiola. Deux ans plus tard, après des accords avec la société néerlandaise Philips, elle fabrique les appareils de cette marque pour le marché français.
Dès 1947, elle s’inscrit dans la modernité en produisant des tubes cathodiques et des postes de télévision puis des magnétoscopes, des autoradios, des jeux vidéo et le minitel dans les années 1980.
En 1953, se développe une politique d’expansion et de décentralisation avec l’ouverture de nouvelles usines dans l’Ouest de la France : Chartres, Rambouillet, Dreux, Nogent-le-Rotrou, Caen… En 1969, la production est répartie sur 9 sites ; plus de 10 000 personnes travaillent pour La Radiotechnique ; le siège demeurant à Suresnes.
Devenue dans les années 1980 La Radiotechnique-Portenseigne Industrielle et Commerciale (RPIC), elle prend en 1990 le nom de Philips Electronique Grand Public (EGP). La Radiotechnique disparaît définitivement en 1996.
Le siège de Philips France est aujourd’hui implanté à Suresnes.

L’industrie automobile se développe entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle sur les quais de Seine. Les plus grands noms s’y installent.
En 1894, Darracq, d’abord fabricant de bicyclettes « Gladiator » et de motos « Millet », se lance dans les voitures à essence. Dès 1904 la société fournit 10 % de la production française. Lui succède la société anglaise Talbot. En 1895, Unic produit l’automobile « Le Poney ».
Fondée par l’inventeur du système de traction avant, l’usine Latil, quai Gallieni, fabrique quant à elle, camions, camionnettes et tracteurs dès 1902.
Puis en 1909 une nouvelle marque d’automobile « Le Zèbre » s’établit rue Carnot et en 1910, la société suisse Saurer, s’installe rue de Verdun, afin de fournir au marché français des poids lourds, camions, autobus, autocars.
Le développement de l’automobile attire de nombreux commerçants qui vendent des
bicyclettes et des accessoires pour voitures. A l’entrée du boulevard de Versailles, actuel boulevard Henri Sellier, s’installent des marchands d’essence. Le quartier, déjà fort animé, connaît ainsi une activité nouvelle.

Dès le début du 20e siècle, Suresnes est au coeur de l’essor de l’aviation avec l’apparition des premiers constructeurs : Levavasseur, Nieuport, Blériot.
La proximité et l’étendue de Bagatelle ont facilité cette implantation propice aux expérimentations.
A partir de 1902, des expériences réussies de planeurs laissent penser que le vol d’un engin plus lourd que l’air est possible. Il ne manque qu’un élément essentiel : le moteur. Léon Levavasseur s’intéresse alors aux moteurs à explosion interne à essence. En 1902 au sein de la Société du Propulseur Amovible, il invente le Moteur à propulsion V8 « Antoinette ».
Louis Blériot, le plus connu des pionniers, s’associe à cette recherche ; il est nommé vice-président de ladite société. En deux mois, un moteur V8 de 50 chevaux est conçu. Il équipe l’avion avec lequel Santos Dumont établit le premier record du monde le 12 novembre 1906 à Bagatelle. Cette machine volante utilise un
allumage Nieuport du nom de ses deux créateurs, les frères Nieuport. Tous les aviateurs (Blériot, Farman, Delagrange…) adoptent ce moteur qui marque une étape décisive dans les débuts de l’aviation.

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, Suresnes, comme la région parisienne, connaît des problèmes de logement dus à l’afflux de population venue travailler dans les usines.
Cette surpopulation entraîne de mauvaises conditions de logement nuisibles à la santé et favorisant épidémies, se doublant parfois des méfaits de l’alcoolisme. Les premières initiatives pour s’attaquer à l’insalubrité et imaginer un habitat décent proviennent du secteur privé ; oeuvres de charité ou patrons « paternalistes ».
Ces questions ne sont pas simplement françaises mais européennes, c’est dans ce contexte que se tient le Congrès international « des habitations à bon marché » de 1889, à l’instigation de Jules Siegfried, fondateur du mouvement de l’habitat social.
Il faut attendre le début du 20e siècle pour que se développe le logement locatif social et que les pouvoirs publics s’intéressent à cette question.
Les premiers offices publics d’HBM voient le jour, à la veille de la Seconde Guerre mondiale on dénombre près de 30 000 logements construits.
Deux acteurs du logement social émergent : Henri Sellier, théoricien et praticien promouvant le concept anglais de « Garden City » dans la région parisienne et Louis Loucheur, à l’initiative d’une loi sur l’intervention de l’État pour l’habitat populaire.

« Sellier s’inscrit dans la lignée du courant municipaliste qui voit dans l’action communale une source majeure de réforme sociale, de transformation des modes de vie et des mentalités » (C Pennetier, chercheur CNRS)

Militant socialiste, Henri Sellier est considéré comme le petit-fils spirituel d’Edouard Vaillant, homme politique (1840-1915) dont le principal objectif est d’améliorer les conditions de santé et de vie quotidienne des plus modestes.
Henri Sellier est élu maire de Suresnes le 30 novembre 1919. Dans le but d’améliorer l’existence des habitants, il se lance dans la construction de logements et d’équipements. Il sait s’entourer de spécialistes tels que médecins et architectes afin d’apporter des solutions adaptées aux différents problèmes de l’époque. Son engagement et ses actions dépassent
largement l’échelle municipale. Il devient rapidement le porte-parole des « communes suburbaines », c’est-à-dire de la région parisienne, et porte la lutte contre l’insalubrité de l’habitat à un niveau national.

« C’est trahir l’humanité que de concevoir le bien et le nécessaire sans faire le maximum pour les réaliser » (H Sellier)
Membre de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (S.F.I.O.), Henri Sellier est élu en 1910 conseiller général de la Seine dans l’une de ses subdivisions administratives celle de Puteaux, ville où il est conseiller municipal de 1912 à 1919.
Il se consacre aux problèmes urbains et plus particulièrement à ceux du logement populaire. Les conditions de vie désastreuses à Paris et dans son agglomération (insalubrité, manque de voierie, d’égouts, d’éclairage) entrainent une forte mortalité.
La loi Bonnevay institue en 1912 la création d’Offices Publics. En 1913, Henri Sellier dépose auprès du Conseil général de la Seine une proposition « tendant à la réorganisation du département de la Seine et à la création d’un Office Public départemental d’habitations à bon
marché ». Cet Office naît en 1915. En 1916, nommé administrateur-délégué, il y défend la théorie d’un « Grand Paris », « Paris et sa banlieue constituent un ensemble social qu’on ne peut continuer à dissocier …(Ils) appellent des mesures juridiques spécifiques, des formes administratives nouvelles » Rapport au Conseil général de la Seine, 1920.
Henri Sellier vient habiter Suresnes en 1915. Elu maire en 1919, il s’efforce de faire de sa ville un exemple de cité et ce, jusqu’en 1941.

– La pensée politique
La pensée d’Henri Sellier est marquée par Jules-Louis Breton, ingénieur adepte des doctrines d’Edouard Vaillant. Inventeur astucieux pour la vie quotidienne, il crée à Paris le « Salon des Arts ménagers ».
Henri Sellier est également influencé par Léon Bourgeois, homme politique, Prix Nobel de la Paix en 1920, penseur social, inventeur d’un concept, le « Solidarisme », une philosophie de la solidarité fondée sur l’idée de « dette sociale ».

– La pensée urbaine
Pour lutter contre la crise du logement ouvrier, Henri Sellier s’inspire du concept de « Garden city » imaginé en 1898 par Ebenezer Howard : un grand ensemble urbain de 240 000 habitants, avec six cités-jardins et une cité sociale, séparées par des zones vertes et reliées entre elles par des moyens de transports. Quatre ans plus tard, lors de la seconde publication de son
ouvrage « Garden Cities of To-Morrow », il n’évoque plus qu’une cité-jardins de 32 000 habitants maximum. Cette proposition est retenue par Raymond Unwin pour les villes de Letchworth (1903), Hampstead et Welvyn (1919) près de Londres. L’importation de la cité-jardins en France est due à Georges Benoît-Lévy qui, après un séjour en Angleterre, à l’initiative du Musée Social, fonde l’Association des cités-jardins de France. En 1904, son ouvrage « La Cité-jardin » est le premier d’une série sur ce thème.

– La pensée hygiéniste
Henri Sellier, inspiré par les docteurs Hellet, Du Mesnil et Paul Juillerat, ainsi que par Paul Strauss, conseiller municipal de Paris et Sénateur de la Seine, fonde en 1902 la Ligue contre la mortalité infantile et propose des lois sur l’assistance aux vieillards infirmes (1905) et le repos des femmes en couches (1913).

Travailleur acharné, Henri Sellier occupe de nombreuses fonctions, notamment dans les domaines de la santé publique et de l’urbanisme.
– Secrétaire général de :
– l’Office départemental d’hygiène sociale et de prévention antituberculeuse
– l’Office départemental de placement et des statistiques du travail
– du Syndicat pour l’exploitation des services publics
– l’Union nationale des organismes d’habitations à loyers modérés
– l’Association française de l’urbanisme et de l’habitation
– l’Union des villes et communes de France et l’Union amicale des maires de « banlieue » qu’il crée
– Membre des :
– Conseil d’Hygiène publique et de salubrité
– Centre prophylactique mental
– Conseil de famille des pupilles de la Seine
– Association internationale contre la tuberculose (Rome)
– Comité pour le progrès social (Genève)
– Institut international contre le cancer
– Rapporteur au Conseil général de la Seine pour les questions relatives : au budget, aux lotissements, à l’aménagement de la banlieue, au Métropolitain, aux questions d’habitation, au laboratoire départemental de radiologie
– Professeur à l’Institut d’urbanisme
– Créateur de la Fédération Internationale de l’habitation et de l’urbanisme en 1937
– Fondateur avec Marcel Poëte de « l’Ecole des Hautes Etudes Urbaines » et la revue « La Vie Urbaine »
– Ministre de la Santé publique de 1936 à 1937

Dans le projet de l’Office d’implanter autour de Paris une dizaine de cités-jardins, Suresnes, ville dense à l’activité industrielle de pointe, doit accueillir la plus importante en termes d’équipements et de logements.
La cité-jardins est construite à partir de 1921, sur une parcelle choisie pour sa situation ensoleillée et située pour trois-quarts sur Rueil et un quart sur Suresnes, à l’emplacement de terrains agricoles et des haras de la Fouilleuse, selon les plans d’Alexandre Maistrasse (1878-1951) associé de 1927 à 1938 à Julien Quoniam. Elle est destinée à être « une ville moderne de 8 à 10 000 habitants constituant une cité d’habitation complète, abritant dans ses immeubles toutes catégories de familles vivant principalement de leur travail, depuis les ouvriers non qualifiés jusqu’aux ingénieurs et techniciens appartenant aux états-majors industriels, l’ensemble de la cité devant être pourvu de toutes les institutions d’intérêt collectif nécessaires à la vie urbaine
moderne : institutions d’hygiène, d’enseignement, d’assistance, de sport ».
Cadre de vie verdoyant, habitat moderne et sain, équipements divers : centre de loisirs, établissement de lavoir bains-douches, centre d’hygiène infantile, groupes scolaires, hôtel pour célibataires et jeunes ménages, résidence pour personnes âgées aménagée sous la forme de « béguinages belges », lieux de culte, commerces et équipements sportifs participent à l’épanouissement des habitants. Achevée en 1956, la cité-jardins compte alors 3 297 logements dont 170 pavillons représentant environ 31 % de la population suresnoise. Aujourd’hui, après une importante campagne de réhabilitation on dénombre 3 045 logements.

La municipalité et l’Office ont voulu un accord total entre le logement et ses locataires.
Chaque famille se voit attribuer un habitat correspondant à sa situation : parents avec plusieurs enfants, jeune couple installé chez la mère de la femme, parents accueillant un aïeul, personne seule avec enfants à charge…
Au minimum, tous les logements comportent : « un débarras, un WC tout à l’égout, pierre à évier avec paillasse pour fourneau à gaz et petite armoire ventilée pour boîte à ordures, eau amenée sur l’évier, éclairage électrique de toutes les pièces ». A partir de cette base, un confort réduit mais fixe, quatre types de logements sont proposés en fonction des ressources financières de leurs futurs occupants. La cité abrite aussi des logements pour des catégories sociales spécifiques : familles nombreuses avec peu de moyens dénommées communément
« indésirables », célibataires, personnes âgées, artistes…

Accompagnant le projet urbain, Henri Sellier met en place un véritable projet social à Suresnes. Le bas de la ville voit sa population diminuer avec l’amélioration du logement.
A côté du dispensaire situé rue Carnot, un centre de puériculture est créé : il abrite une crèche moderne construite grâce au financement de l’industriel fabricant d’automobiles Alexandre Darracq, une consultation des nourrissons, une annexe de distribution de lait « la Goutte de Lait » et permet l’hospitalisation temporaire des enfants après la vaccination antituberculeuse (BCG). Le haut de Suresnes est, quant à lui, en pleine expansion. Le plateau nord est progressivement habité et le groupe scolaire Payret-Dortail est bâti en 1927. A l’ouest la cité-jardins est construite, avec ses nombreuses installations d’éducation et d’hygiène. Au pied du
Mont-Valérien est réalisée une école de plein air entre 1931 et 1935. La réalisation de ces équipements sanitaires s’accompagne d’une politique de solidarité sociale. En 1936, 1 367 Suresnois étaient relogés à la cité-jardins.

« Le développement de l’enseignement, l’organisation de l’école unique n’ont de raison d’être que s’ils visent à dégager chez l’individu les qualités qui peuvent aboutir à lui donner dans la société la situation la plus favorable et la possibilité d’exercer ses aptitudes innées et acquises dans les meilleures conditions pour lui-même » (H Sellier).
Un important effort est déployé dans le domaine de l’éducation : financier mais aussi d’imagination et d’organisation. Au cours des années 1930, un tiers environ du budget municipal est consacré à l’instruction publique. L’éducation débute dès la maternelle et se prolonge à chaque âge de la vie.
Une place est faite aux enfants à la santé fragile par la création d’un établissement médico-pédagogique en 1921 : l’école de plein air. Saisonnière, elle deviendra permanente, en 1935.
La construction des établissements scolaires doit permettre à l’enfant de s’épanouir physiquement grâce à des équipements sanitaires, sportifs et médicaux.
Un soin particulier est apporté dans leur traitement décoratif : revêtement des façades en mosaïque polychrome ; sculptures de Letourneur ; oeuvres d’art de la manufacture de Sèvres.

Une politique de scolarisation en amont et en aval de l’âge obligatoire est mise en oeuvre dans la ville. En 1931, quatre écoles maternelles scolarisent 40 % des enfants de 2 à 6 ans.
Celles nouvellement construites (Edouard Vaillant, Wilson, Payret-Dortail) comprennent des classes normales, une classe solarium pour accueillir les rachitiques et les plus faibles, une garderie, une salle de projection et toutes les annexes : jardin de repos, terrain pour le jardinage.
La généralisation de l’enseignement des tout-petits est récente à l’époque. Les instructions de 1927 vont rendre obligatoires un certain nombre d’éléments programmatiques. La maternelle n’étant pas un modèle figé, les propositions se développent. Elle évolue et est conçue comme un lieu où, selon de nouvelles méthodes pédagogiques, la promotion des activités manuelles (tissage, dessin, modelage, jardinage,
jeux d’eau, soins apportés aux animaux…) et sportives concourent à l’éveil de l’enfant.

Deux écoles primaires sont construites dans la cité-jardins ainsi qu’une sur le plateau nord pour accueillir les enfants de plus en plus nombreux.
Elles comportent des bâtiments séparés pour les garçons et pour les filles. La qualité et la diversité de l’enseignement nécessitent la construction de locaux adaptés avec des services annexes : réfectoire, cuisine, garderie, ateliers, salle médicale. L’enseignement général est complété par des cours de préapprentissage industriel de travail manuel du bois et du fer pour les garçons et d’enseignement ménager et de couture pour les jeunes filles.
Le groupe scolaire Edouard Vaillant est conçu en 1922 pour accueillir un millier d’enfants. Au début des années 1930, un nouveau groupe est érigé : Aristide Briand, actuel collège Henri Sellier, inspiré par l’établissement du plateau nord Payret-Dortail à destination intercommunale. Une piscine en sous-sol, un
gymnase transformable en salle des fêtes et des bains-douches sont construits dans la partie centrale de ces deux derniers.

La municipalité déplore une insuffisance de la formation des apprentis et met en place un enseignement supérieur à caractère technique.
Pour les garçons, l’Ecole Pratique d’Industrie doit permettre de dégager une élite d’ouvriers très qualifiés et de cadres techniques dans les domaines du bois, du fer et de la mécanique. L’Ecole Pratique de Commerce oriente les enfants vers les métiers des banques et du commerce. L’Ecole Primaire Supérieure forme quant à elle les futurs ingénieurs. Devant le succès de l’enseignement dispensé aux jeunes de Suresnes, Nanterre et Puteaux, ces deux écoles, installées dans le groupe scolaire du plateau nord, futur lycée Paul Langevin qui conservera cette vocation jusqu’en 1969, doivent être agrandies en 1937.
Pour les filles, l’Ecole Primaire Supérieure, rue du Mont-Valérien prépare au brevet élémentaire et aux écoles normales primaires avec une
section technique commerciale complétée par un cours professionnel d’enseignement ménager où elles apprennent des notions précises sur l’art domestique ainsi que sur les professions féminines de mode, coupe et couture.

« La lutte contre la maladie et la mort est le plus urgent et le plus sacré des combats ».
« L’hygiène n’a plus seulement pour ambition la guérison et la prévention des maladies du corps et de l’esprit, mais, dans son aspect social, elle revendique comme fin, le plein et harmonieux épanouissement physique, intellectuel et moral de l’individu… » (H Sellier).
Le combat pour la santé s’engage dès les premiers âges de la vie et doit être poursuivi sans relâche. Il consiste en un encadrement sanitaire systématique de la naissance à l’adolescence puis au sein même des familles jusqu’à la vieillesse.
Henri Sellier organise des colonies de vacances pour améliorer la santé des enfants, à une époque où la mortalité par tuberculose est importante. Ces derniers partent ainsi six semaines « au vert » dans l’Allier ou le Cher.
Deux hommes ont travaillé aux côtés d’Henri Sellier dans ce domaine : Louis Boulonnois,
secrétaire général de la mairie et Robert-Henri Hazemann, médecin inspecteur de l’Office, inventeur de la « doctrine de Suresnes » selon laquelle l’urbaniste doit assainir les villes et le travailleur social les familles en les dotant d’un « plan de vie ».

 

Au programme électoral d’Henri Sellier en 1919 figure l’organisation d’un service social municipal composé de plusieurs institutions :
– le bureau municipal d’hygiène, avec son règlement sanitaire établi en 1922, qui a pour mission de combattre l’insalubrité,
– le dispensaire allie les soins médicaux à l’oeuvre d’assistance sociale,
– le service social de l’enfance, avec des consultations prénatales et des nourrissons, des visites à domicile de l’infirmière de puériculture, des distributions de lait stérilisé organisées dans les crèches et les écoles maternelles. L’expérience la plus originale de Suresnes établie en 1923 est la création d’un corps de 12 infirmières-visiteuses, appelées les « dames en bleu », qui assurent le lien entre les familles et les services municipaux. « Toute demande d’emploi, de service ou d’allocation adressée à la municipalité est instruite par elle » (L Boulonnois). Elles enseignent aux habitants les
règles d’une vie saine permettant d’accéder à la « bonne santé ». Elles élargissent leur champ d’action, dès l’année suivante, en assurant la surveillance médicale des enfants dans les écoles auprès du médecin scolaire. Pour chaque élève, elles établissent une fiche sociale qui s’ajoute à la fiche sanitaire permettant ainsi le suivi des familles.

Bénéficiant de toits-terrasses et de panneaux vitrés repliables, l’école de plein air s’adresse aux enfants atteints de rachitisme, d’anémie ou pré-tuberculeux afin de leur permettre de bénéficier d’air et de soleil et ainsi de recouvrer la santé.
Elle combine une surveillance médicale à une pédagogie particulière. Les architectes Eugène Beaudouin (1898-1983) et Marcel Lods (1891-1978) sont chargés de ces travaux. Construite entre 1931 et 1935, elle succède à l’établissement provisoire créé en 1921 aux Haras de la Fouilleuse. Elle accueille 200 à 300 élèves, filles et garçons de primaire et maternelle.
Située à l’emplacement de l’ancienne propriété de la Motte, elle comprend un bâtiment à deux étages regroupant deux classes de maternelle, les services communs, tels que la salle d’examen médical, les vestiaires, les douches ainsi que les réfectoires, dortoirs, classes de
travaux manuels, d’enseignement ménager et le préau. Il forme au nord un écran qui protège du vent les huit classes orientées au sud. Organisées en pavillons indépendants, celles-ci sont reliées par une galerie couverte. Les toits des classes, accessibles à travers un système de rampes, peuvent être utilisés comme solarium. L’école ayant été fermée en 1995, les bâtiments, classés Monument Historique en 2002, accueillent aujourd’hui l’INSHEA (Institut National Supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés).

L’éducation populaire accompagne le citoyen à chaque instant de sa vie dans la rue, dans les équipements de loisirs, de sport, de culture et la salle des fêtes.
Un centre de loisirs pour tous « Albert Thomas », actuel théâtre Jean Vilar, situé dans la cité-jardins est inauguré en 1938. Le premier cinéma de la banlieue parisienne est créé à Suresnes en 1921, un comité des fêtes en 1926 et des spectacles, concerts, fêtes et expositions avec la participation des habitants dans leur quartier.
Des institutions cultuelles sont également construites dans la cité-jardins : l’église Notre-Dame de la Paix entre 1931 et 1934 et l’église évangélique luthérienne en 1954.
Favorable au « système coopératif » qui doit donner confiance aux ouvriers et les former en leur apprenant les règles d’une saine gestion, Henri Sellier, lors d’un congrès en 1911, détermine pour la première fois la doctrine de la
coopérative. « Une coopérative protège les travailleurs dans leurs moyens de subsistance… les coopératives sont les organismes essentiels d’une répartition collective des richesses… » (H Sellier). En 1912, la Fédération nationale des sociétés coopératives de consommation est créée. Dès 1920, Henri Sellier s’attache à la présence de coopératives à Suresnes : magasins, restaurants coopératifs, pharmacies mutualistes.